Drôle de paradoxe... 75% des salariés se disent satisfaits de leur «situation professionnelle actuelle». Tout juste si les cadres ne sifflotent pas chaque matin sur le chemin du boulot : leur taux de satisfaction monte à 83%, selon le dernier sondage Ifop. Pourtant, aucun salarié, aucun dirigeant n'est insensible à l'actualité sur le stress et la souffrance au travail.
Tout le monde a vu le management évoluer ces vingt dernières années, remarqué que les objectifs financiers prenaient le pas sur les autres. Chacun a déjà eu l'impression d'étouffer sous une montagne de travail, ou réfréné son envie d'exploser son infatigable BlackBerry contre un mur. «Pas de performance sans stress», c'est le psychiatre Eric Albert qui le dit. Mais attention, prévient le médecin Philippe Rodet, «le stress n'augmente la performance que dans 10% des cas, selon une étude canadienne». Entre épanouissement et épuisement, comment fait-on alors tourner la machine ?

La situation est d'autant plus délicate à vivre que longtemps la France a fermé les yeux. Les pouvoirs publics, les directions et nombre de syndicats ont donné la priorité à l'emploi. Pas à la santé au travail. Il y eut bien, en mars 2008, la remise du rapport Nasse-Légeron sur la prévention des risques dits «psychosociaux» au ministre du Travail, mais il ne fut guère suivi d'effet.
Du coup, «pas étonnant qu'on se prenne la série de suicides à France Télécom sur le bec, estime le psychiatre Jean-Pierre Soubrier, expert sur la prévention des suicides à l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les salariés qui vivent des pressions au travail ont un sentiment d'abandon. Ils ne savent pas à qui s'adresser : leur entreprise les néglige, les gouvernements n'ont rien fait.» ...........

Le gouvernement réagit fort
Le ministre du Travail, Xavier Darcos, a tapé du poing sur la table : demande aux entreprises de conclure un accord sur la souffrance au travail d'ici au 1er février; création d'une cellule de veille au ministère pour suivre le sujet; attribution d'une mission sur la prévention du stress à Henri Lachmann (Schneider Electric), Muriel Pénicaud (Danone) et Christian Larose (Conseil économique et social, CGT). De son côté, la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a écrit à toutes les entreprises dans lesquelles l'Etat est actionnaire pour leur demander d'être «exemplaires» dans la lutte contre le stress.
Comment travaille-t-on dans ces entreprises ? Y a-t-il une fragilité particulière dans les groupes issus de la sphère publique ? Après France Télécom, la situation à Pôle emploi semble le suggérer. Les salariés ont fortement fait grève le 20 octobre contre le stress, ................
 Le médecin Philippe Davezies l'expliquait en juin, au Collège de France, ce sentiment de mal faire son travail s'avère plus nocif sur la santé qu'une simple surcharge.

Peur constante du dérapage
Directeur régional de Pôle emploi en Bourgogne, Pascal Blain reconnaît que les agents sont «anxieux, fatigués». ........... «La ligne managériale, située entre le marteau et l'enclume, se trouve la première soumise aux risques psychosociaux.» Volontairement optimiste - «le stress est aussi positif, car je suis conscient qu'on paie les chômeurs à temps, qu'on leur trouve du boulot -, il reste vigilant. Et avoue, à propos du mal-être des agents : «J'ai peur en permanence que cela puisse déraper.»
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 Les salariés souffrent-ils plus qu'ailleurs dans les groupes publics, ou anciennement publics, soudain confrontés aux contraintes du privé ? La comparaison Pôle emploi-France Télécom est inévitable : dans les deux cas, un mode de management inspiré du privé bouscule des habitudes venues du public. Le responsable de la CFDT, François Chérèque, a tiré «la sonnette d'alarme» le 9 octobre, dans Le Journal du dimanche : «Pôle emploi est dans une situation très inquiétante. ?[...] Les agents perdent leurs repères et leur identité.» Le nouvel organisme cherche son modèle. Pas facile. Pour Corinne Maier, auteur du célèbre livre Bonjour paresse (Michalon, 2004) et ancienne salariée d'EDF, il s'agit du plus mauvais des cocktails managériaux. «Ce mélange reprend le pire de chaque système, souligne-t-elle. Les défauts de la bureaucratie et les tares du management privé. C'est ce que j'ai vécu à EDF [privatisé en 2004. NDLR], c'est l'horreur totale.»

Brutalité des regroupements
Aujourd'hui, d'autres entreprises vivent des regroupements d'établissements ou de services, facteur typique de stress. A GDF Suez, .............. le syndicat note que, «le passage d'une culture de service public à une culture commerciale se fait difficilement».
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Quelques groupes cependant n'ont pas attendu le coup de semonce gouvernemental. Certains ont été contraints et forcés à réagir, comme EDF. ..................
 En mars 2008, le groupe a négocié un accord sur la prévention des risques psychosociaux au sein de la production nucléaire : diagnostic détaillé, information et accompagnement des agents en cas de réorganisation, numéro vert... En 2007, un accord sur les conditions de travail dans le commerce avait déjà vu le jour. «Chinon a été un accélérateur, reconnaît Catherine Delpirou, directrice des politiques de ressources humaines. Mais nous formons des centaines de managers à la compréhension des risques psychosociaux depuis 2000.» Syndicalistes, médecins et managers participent aussi à un Observatoire national de la qualité de vie au travail. En plein débat sur sa transformation en société anonyme, La Poste, qui a créé un Observatoire de la santé l'an dernier, prend en charge les victimes d'agression au guichet depuis 1995, multiplie les formations, analyse les facteurs de stress... «Nous mettons aussi en place, depuis octobre, un dispositif d'évaluation et de suivi du stress professionnel via un questionnaire à remplir lors des visites médicales», ajoute Pascale Duchet-Suchaux, directrice de la santé au travail.
Numéro vert, assistantes sociales, «référent santé» dans chaque région au sein des ressources humaines : Pôle emploi fera-t-il face ? La direction a envoyé un questionnaire sur le stress le 5 novembre à tous les agents, et propose de négocier sur les conditions de travail.
............ En revanche, «les bons élèves s'interrogent sur l'organisation du travail, demandent l'avis des collaborateurs avant de franchir de grandes étapes de changement». Des conseils à méditer pour toutes les entreprises, publiques ou non, en profonde mutation.

75% des salariés sont fiers de leur entreprise mais...79% des cadres considèrent que leur travail est nerveusement fatigant.


40% des cadres estiment ne pas être consultés pour des décisions qui les concernent pourtant directement.

25% des salariés ont eu envie d'être violents avec un supérieur hiérarchique ou avec un patron.


SOURCE : SOCIOVISION.ENQUETE SOCIOLOGIQUE REALISEE DEPUIS 1975 AUPRES D'UN ECHANTILLON REPRESENTATIF DE 2 200 FRANCAIS

Dominique Perrin - Challenges