samedi 23 janvier 2010

garanties du fonctionnaire en position d'activité

CE 28 décembre 2009
Le fonctionnaire a le droit d'être affecté à un emploi pour exercer les missions afférentes à son grade.

mercredi 20 janvier 2010

Management par objectifs, financiarisation des stratégies et perte des réalités


e Monde 18 décembre 2009
L'année 2008 a été marquée par une crise bancaire et financière inédite, 2009 est venue ajouter à l'ardoise une crise managériale de grande ampleur, dont se sont emparés acteurs politiques, syndicats, journalistes et consultants en management. Au-delà des suicides et de leur comptabilité macabre, il semble désormais établi que de nombreuses organisations sont devenues sources de stress et de souffrance, non seulement pour les opérationnels peu qualifiés mais aussi pour les ingénieurs et autres profils techniques, ainsi que pour le management intermédiaire.
Les remèdes actuellement expérimentés par les entreprises consistent, pour l'essentiel, à repérer et accompagner des individus en détresse, ou à re-souder les collectifs de travail à travers des"journées des équipes". Reconnaître les difficultés et prendre en charge les crises est un progrès indéniable, mais ne garantit pas que l'on s'attaque aux causes plus fondamentales du malaise. En particulier, il faut s'interroger sur certaines dérives liées à une utilisation dogmatique des systèmes de management par objectifs, qui se sont généralisés au cours de ces dix dernières années, en accompagnant la financiarisation des stratégies.
La logique sous-jacente au management par objectifs est simple : il est souvent plus simple de définir ce que l'on attend que la manière de l'obtenir. Ne pouvant définir "la" bonne manière de conduire l'activité, en particulier lorsque les projets ou métiers deviennent trop complexes, il est plus simple et plus responsabilisant de s'entendre sur des objectifs et de laisser aux opérationnels le soin de s'organiser pour y parvenir. Si ces objectifs sont atteints, récompensons les individus à l'aide de primes, s'ils ne le sont pas, sanctionnons-les.   Différents acteurs, à commencer par Peter Drucker (dont l'ouvrage de 1954 est considéré comme fondateur en matière de management par objectifs), ont cependant souligné les conditions exigeantes dans lesquelles devait s'appliquer le management par objectifs pour être véritablement efficace. Plus grave, l'usage de ces leviers peut favoriser des comportements déviants et se retourner contre l'intérêt de l'entreprise. En particulier, une confiance excessive des dirigeants dans les systèmes de management par objectifs, combinée à une incompréhension – ou, pis, à un désintérêt –pour l'activité et les différents métiers de l'entreprise peut s'avérer dangereuse pour une organisation et ses membres. A l'extrême, les dirigeants peuvent en venir à considérer que l'organisation, ses métiers et ses individus sont totalement adaptables et redéployables.
Dans une telle situation, l'entreprise perd son épaisseur stratégique. La direction n'est plus un organe où se négocient les objectifs de la firme, en articulant les demandes externes (des actionnaires, des clients) et ses ressources internes. Le rôle du top management se résume simplement à traduire et répercuter les objectifs des actionnaires sur les échelons inférieurs de l'organisation, sans s'interroger sur la capacité de l'organisation à atteindre, supporter, voire enrichir ces objectifs. A trop s'éloigner de l'activité, de ce que les individus sont capables de faire, le top management se désolidarise progressivement de l'entreprise. En réaction, les salariés s'interrogent et se demandent si les dirigeants jouent pour ou contre l'intérêt de l'entreprise, détruisant la confiance nécessaire à tout projet collectif. L'entreprise, entendue comme projet et potentiel collectif, est mise à mal.
Mais les effets les plus néfastes sont à craindre lorsque se développe une forme d'"autisme managérial", où le top management fixe des objectifs présentés comme non négociables, et ne souhaite plus prêter d'attention aux difficultés vécues par les acteurs qui réalisent l'activité. Au-delà du stress et de la violence que ces mécanismes génèrent pour les individus, le top management peut rapidement se retrouver pris à son propre piège. En effet, à partir du moment où tout écart par rapport aux objectifs devient synonyme d'incompétence, plus aucune information sur les dysfonctionnements ne filtre jusqu'aux organes dirigeants. Les opérationnels – middle managers, techniciens, acteurs projets –- deviennent plus animés par la peur de la sanction et le culte de l'indicateur que par le travail bien fait. Ils doivent de plus en plus jongler et prendre des risques pour réaliser leurs objectifs tout en menant à bien leur activité. Dans de telles situations, la direction risque de perdre le contrôle de l'entreprise.
C'est lorsqu'une crise grave éclate qu'elle prend conscience –trop tardivement – que les objectifs n'étaient pas tenables et que des dérives graves sont devenues routinières. De nombreuses crises industrielles récentes s'inscrivent dans un tel système, où l'usage inconsidéré du management par objectifs éloigne les dirigeants de l'activité, et rend invisibles des crises couvant depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, dans l'organisation.
Le management par objectifs n'est pas, en soi, un mécanisme malsain. Mais ce n'est ni le seul, ni le meilleur levier de pilotage d'une organisation. Mobilisé de manière dogmatique, et combiné à une inattention pour l'activité et les opérationnels, il peut aboutir à une perte de contrôle sur l'entreprise qui peut avoir des répercussions catastrophiques sur la dynamique d'une organisation.
Aurélien Acquier est professeur à l'ESCP Europe et chercheur associé à l'Ecole des mines Paris Tech.

dimanche 17 janvier 2010

Travailler peut-il rendre heureux?


La norme, dans notre société, est de se déclarer satisfait de son travail. Mais tel qui se dit enthousiaste de son travail déclare aussi ne vouloir à aucun prix que ses enfants s'engagent dans la même activité.
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 Le bonheur au travail est lié au fait de valoriser, par ce travail, un capital : capital économique de l'entrepreneur ou capital culturel du cadre. L'exercice de responsabilités hiérarchiques, qui permet de démultiplier, grâce à l'activité de subordonnés, le rendement de son capital humain personnel, est aussi source de satisfaction.
Mettre en valeur un capital suppose de s'investir dans un travail qui est vécu comme une "aventure", une "passion". Cette forme de bonheur suppose une implication et la pression ressentie est élevée. Mais les récompenses sont à la hauteur de l'effort : revenu élevé, plaisirs d'une activité jugée "intéressante", "épanouissante". Ces plaisirs sont liés à l'appartenance à une communauté professionnelle capable d'imposer sa définition du travail bien fait et d'apprécier la marque personnelle de chacun de ses membres.
Une autre forme de bonheur au travail est fondée non pas tant sur l'importance des gratifications que sur leur équilibre avec les exigences limitées d'un travail facile à concilier avec la vie personnelle, car les horaires sont commodes et la pression limitée. La satisfaction, toutefois, ne vient pas seulement d'une "vraie vie" hors de la sphère professionnelle : elle est aussi fondée sur le sentiment d'être traité avec équité. Cette équité est appréciée dans la durée et cette forme de bonheur requiert la sécurité des carrières.
Lorsque le travail est déqualifié et routinier, les chances d'y trouver du bonheur sont faibles. Cependant, il existe des formes de résistance collective qui parviennent à limiter la pression et, par là, l'emprise du travail. Si l'activité apporte peu de plaisir, on réussit alors à ne s'y impliquer que "juste ce qu'il faut", à rester en retrait.
Mais quand les défenses individuelles et collectives sont débordées, les personnes expriment, même dans le cadre froid d'une enquête statistique, la souffrance qu'elles éprouvent. Elles s'ennuient, elles regrettent de ne pas faire partie d'une équipe où on se soutienne, elles ne se sentent pas reconnues à leur juste valeur, mais au contraire exploitées. ..............
La souffrance au travail peut toucher toutes les catégories. Petits indépendants dont le statut ne compense plus la charge de travail, cadres qui subissent une pression excessive, ouvriers usés par leurs conditions de travail. La réorganisation de l'économie et des entreprises, depuis le milieu des années 1980, a accumulé les sources de souffrance. Intensification du travail ; changements incessants et contradictoires ; déstabilisation des carrières ; destruction de collectifs chaleureux et protecteurs et remise en cause des valeurs qu'ils portaient, notamment par l'imposition de critères d'évaluation réducteurs.
C'est ainsi que des travailleurs peu qualifiés qui parvenaient à rester en retrait ont basculé dans la souffrance à cause de l'intensification du travail et de la disparition des protections collectives ; ou que des cadres très investis sont passés du bonheur au malheur parce que leur expérience a été dévalorisée. Dans le secteur public, les transformations ont été souvent ressenties comme brutales.
Le statut de la fonction publique est pour ses bénéficiaires un facteur de bien-être au travail, à la fois sur le mode de l'équité et sur celui de l'investissement récompensé, la stabilité des carrières favorisant l'engagement : toute remise en cause, même partielle, est donc mal vécue. De plus, les normes professionnelles sont solides et les changements imposés créent des conflits éthiques : en 2007, les salariés de l'administration étaient, avec ceux des banques et des assurances, les plus nombreux à déclarer devoir faire dans leur travail des choses qu'ils désapprouvaient.
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C'est seulement en reconstituant des liens sociaux collectifs - professionnels, syndicaux, politiques... - que pourront s'élaborer des modes alternatifs d'organisation des entreprises et que le bonheur au travail deviendra un peu moins rare.


Isabelle Coutant et Michel Gollac sont sociologues, coauteurs de "Travailler pour être heureux ? Le bonheur et le travail en France" (Fayard, 2003).