vendredi 12 novembre 2010

Encadrement intermédiaire et changement organisationnel

Paru dans Entreprise & Carrières, N° 1023 du 09/11/2010 Rubrique : Enjeux

Sous Rubrique : Plus loin avec Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR PAULINE RABILLOUX

Simple courroie de transmission hier, l’encadrement intermédiaire est aujourd’hui appelé à tenir un rôle stratégique dans la définition et la mise en œuvre des changements organisationnels qui sont devenus le quotidien des entreprises.

E & C : L’encadrement intermédiaire est aujourd’hui la cheville ouvrière du changement. Mais que faut-il entendre exactement par encadrement intermédiaire ?


Christian Mahieu : L’encadrement intermédiaire est une notion composite. Traditionnellement, on pense à des profils comme ceux de contremaîtres, de responsables fonctionnels - RH, informatique, maintenance, qualité, etc. - ou opérationnels, y compris des responsables de sites. Aujourd’hui, d’autres profils émergent : par exemple, des responsables "d’affaires", d’activités ou de marchés. Un manager intermédiaire peut alors n’avoir que peu de personnes sous sa responsabilité, il n’en occupe pas moins un poste clé. Dans des contextes qui nécessitent une forte anticipation du mouvement des marchés, des managers intermédiaires sont sollicités et sélectionnés pour le prévoir et être à l’affût des signaux faibles qui permettront de construire le développement ultérieur de l’entreprise.

E & C : Cette catégorie reste la courroie de transmission du changement organisationnel décidé par le top management. Peut-on se limiter à cette compréhension restrictive des rôles ?

C. M. : Dans l’entreprise perdure l’idée du changement comme passage d’un état A à un état B, défini à l’avance par le top management ; les cadres intermédiaires étant alors chargés de mettre en œuvre ces décisions. Outre le fait que ce type de changement organisationnel n’aboutit pas toujours au résultat escompté, dans la pratique, les choses sont plus complexes. De plus en plus de managers intermédiaires sont sollicités non seulement pour faire exécuter un changement stratégique décidé par la direction générale, mais pour y contribuer à partir de l’unité opérationnelle qu’ils dirigent. L’éclatement géographique des unités de production, le fait que les situations locales sont variées et engagent des équipes de plus en plus autonomes exclut un simple parachutage des nouvelles orientations. L’encadrement intermédiaire, à l’interface des réalités de terrain et des contraintes corporate, est l’élément clé des adaptations organisationnelles nécessaires. Le changement organisationnel permanent qui affecte aujourd’hui les entreprises oblige donc à revoir le rôle de ces managers pour qu’ils correspondent à ces responsabilités stratégiques.

E & C : Quel est l’intérêt et quelles sont les éventuelles limites de ce changement de rôle ?

C. M. : Là où les cadres intermédiaires étaient autrefois les rouages d’un management pyramidal, leur rôle dans la mise en place du changement correspond à la nouvelle autonomie que l’entreprise exige d’eux. Si cela ne les affranchit pas des contraintes imposées par les directions, à coup sûr, cela suppose qu’ils aient une certaine marge de manœuvre pour parvenir au résultat. De plus, sollicités sur le plan de la créativité, conviés à travailler sur des projections, des scénarios, ils tendent à devenir stratèges, et de l’entreprise et pour eux-mêmes, car, à côté de la gestion des équipes, c’est aussi leur carrière qu’ils ont appris à gérer. La capacité stratégique fait aujourd’hui partie des vertus cardinales de l’encadrement à tous les niveaux. Cela signifie concrètement que, si l’implication et la satisfaction au travail de cette catégorie restent fortes, leur allégeance aux visées de l’entreprise n’est pas d’emblée acquise. A défaut d’être convaincus de l’utilité des nouvelles directives émanant du top management, ou tout simplement de la pertinence des méthodes mises en place, ils peuvent choisir de centrer leurs efforts sur l’activité immédiate et une éthique de proximité dans la gestion des équipes, voire de se replier sur un positionnement d’expert, bref, de ne pas jouer le jeu. Aujourd’hui, pour avoir des chances d’aboutir, tout changement organisationnel doit donc obtenir l’adhésion des cadres, c’est-à-dire tenir compte de la façon dont ils se projettent personnellement dans ces situations. A défaut de remplir son objectif initial, le relatif succès du changement doit s’apprécier à l’aune de sa capacité à transformer non seulement les structures de l’organisation mais les acteurs eux-mêmes.

E & C : Concrètement, comment faire ?

C. M. : La culture projet est désormais largement acquise et les cadres se sont vus dotés des outils méthodologiques et informatiques nécessaires à l’accomplissement de leurs nouvelles fonctions. Par contre, ce qui reste plus difficile, c’est la manière d’encourager et d’outiller les cadres pour en faire les animateurs d’un dialogue constructif et ouvert entre les parties prenantes des transformations. Promouvoir un tel dialogue ne signifie pas s’enliser dans des discussions infinies, car les entreprises sont toujours talonnées par des problématiques de rentabilité à court terme. Transformer les prérogatives de l’encadrement intermédiaire pour qu’il assume pleinement son rôle stratégique demande du temps et du doigté. De nombreux cadres ont déjà été échaudés par des projets qui ont capoté après un changement de cap des dirigeants. Toute la difficulté consiste à leur donner ce temps, sachant que l’entreprise n’en dispose pas forcément elle-même. D’où la nécessité au moins de ne pas en perdre et de s’assurer que les différents dispositifs nécessaires sont mis en cohérence. La constitution d’équipes projets, la formation ou le coaching ne sont jamais des fins en soi, mais des démarches qui doivent être intégrées en vue d’un résultat final. Celui-ci, bien souvent, coïncide justement avec la transformation des rôles des managers intermédiaires.
PARCOURS

• Christian Mahieu, docteur en sociologie et diplômé de l’EHESS, est chargé de recherche au LEM (Lille économie et management)-CNRS. Ses travaux portent sur l’étude des transformations du management et de l’organisation au sein des entreprises.

• Entre autres missions, il a été mis un temps à la disposition de Renault par le CNRS, puis chargé du soutien et de l’évaluation des relations entre la recherche publique et les entreprises dans le Nord-Pas-de-Calais.
• Il est l’auteur, notamment, d’un article paru dans l’ouvrage collectif Le Management du changement (Vuibert, 2010).