samedi 12 décembre 2009

sols pollués - La phytoremédiation, un procédé prometteur


sols pollués - La phytoremédiation, un procédé prometteur

Par Emmanuelle Lesquel Gazette des communes décembre 2009
- Les protocoles de dépollution des sols par les plantes doivent être envisagés sérieusement.
- Encore peu utilisés en France, ils devraient se développer, notamment, grâce à la valorisation de la biomasse produite.


Comme un frémissement. Peu coûteux, soignant le paysage, peu gourmand en énergie et pourtant quasi inexistant en France. Le recours aux plantes pour traiter les sols et les sédiments pollués devrait se développer significativement dans les prochaines années. Amiens (Somme)a ainsi réussi à réhabiliter une ancienne décharge en parc. Besançon (Doubs) a annoncé qu'elle allait utiliser ces technologies pour traiter une friche industrielle d'une vingtaine d'hectares, polluée aux métaux lourds et aux hydrocarbures. (lire « La Gazette » du 4 mai 2009, p. 44). De son côté, l'établissement public foncier de Lorraine va lancer une étude estimant le potentiel des plantes pour valoriser les délaissés de friches industrielles (terrils, talus, voiries.). En Seine-et-Marne, un premier centre de traitement « hors site » par les plantes vient d'ouvrir (voir l'infographie ci-contre).

Signal fort.

« L'utilisation privilégiée des phytotechnologies est inscrite dans loi Grenelle 1 [1]. Ce signal fort devrait donner une nouvelle impulsion à la recherche et aux applications concrètes. En un an, la situation a vraiment évolué. Nous avons deux projets en cours de négociation avec des collectivités », souligne Valérie Bert, ingénieure d'études à l'unité de technologies et procédés propres et durables de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Pour cette spécialiste, la technique la plus prometteuse est la phytostabilisation. Elle présente l'avantage de ne pas concentrer les polluants dans la plante (phytoextraction), ni de les transférer vers l'atmosphère (phytovolatilisation).
« Cependant, s'il existe plusieurs projets de recherche appliquée qui fonctionnent, les techniques ne sont pas encore vraiment disponibles sur le marché », résume la chercheuse. Reste que leur avantage financier est indéniable. Selon une étude (2) de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), aux Etats-Unis, où la phytoremédiation est fréquemment utilisée pour la réhabilitation des sites industriels pollués, elle coûte au moins 50 % moins cher que les techniques classiques (qu'elles soient physiques, chimiques ou thermiques). Globalement, les auteurs de l'étude estiment que ce procédé serait jusqu'à 100 fois moins coûteux que les solutions classiques. Selon les industriels français du traitement des sols pollués, ce rapport serait plutôt de 1 à 30.

Enjeux financiers.

Paradoxalement, en France, ce faible coût de la phytoremédiation semble être un frein à son développement. « Les industriels n'ont pas forcément envie de vendre des techniques qui rapportent moins », estime Valérie Bert. Pour Thierry Jacquet, président et créateur de Phytorestore et de la bioferme, le recours aux plantes représente un enjeu financier énorme. « A la bioferme [en hors site, ndlr], le traitement des terres atteint, selon la nature de la pollution, entre 20 et 80 euros la tonne contre 40 et à 200 euros la tonne pour des solutions classiques qui, de surcroît, entraînent souvent une destruction de la ressource ! »
Les industriels du secteur rétorquent que le principal frein à ces techniques reste leurs limites intrinsèques. Les plantes ne peuvent, en effet, agir que sur certaines concentrations et profondeurs de polluants et ces derniers ne sont dégradés que lentement, voire uniquement confinés.
Or le simple confinement de polluants entraîne des restrictions d'usage et un problème de conservation de la mémoire. La longue durée d'immobilisation des terrains constitue certes l'inconvénient majeur. Impossible d'utiliser la phytoremédiation pour une utilisation rapide, surtout pour des activités sensibles. Sauf à recourir à l'excavation et au traitement par les plantes en hors site dans des centres comme celui de la bioferme. En outre, cette solution présente l'avantage de pouvoir homogénéiser les terres, et donc, de s'affranchir des limites de concentration et de profondeur des polluants.

Gestion de grandes surfaces.

Cependant, selon Jean-Louis Morel, président du Groupement d'intérêt scientifique sur les friches industrielles et directeur du laboratoire « sols et environnement » de l'Ecole nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires, l'intérêt de la phytoremédiation réside essentiellement dans l'in situ. « En hors site, elle est concurrencée par d'autres techniques avec lesquelles elle n'est pas forcément capable de rivaliser. Les plantes sont surtout intéressantes pour stabiliser les polluants à moindre coût sur de grandes surfaces. » Selon le scientifique, les collectivités ont intérêt à opter pour la phytoremédiation lorsqu'elles disposent de friches industrielles importantes, sans pression foncière forte : « Implanter un couvert végétal permet de stabiliser les polluants et sert de support à un nouvel écosystème, réservoir de biodiversité. »
La phytostabilisation peut être « aidée » par l'ajout d'un amendement permettant de mieux fixer les polluants dans le sol. Elle peut aussi être associée à des techniques biologiques, les plantes permettant de stimuler l'action des bactéries dans le sol et donc la dégradation-transformation des polluants. « La phytostabilisation aidée offre des résultats intéressants sur les sédiments. Une expérience menée depuis sept ans sur des sites de dépôts montre que les plantes se sont vite installées et ont rapidement limité le lessivage avec une bonne immobilisation des polluants », précise Valérie Bert.

Produire de la biomasse.

L'Ademe a fait le choix d'orienter ses programmes de recherche vers la phytostabilisation. « Malgré ses limites, celle-ci représente souvent l'unique solution pour les grands espaces contaminés », souligne Frédérique Cadière, chef de projets « sites et sols pollués ».
Pour développer une méthodologie et un outil opérationnel, l'Ademe soutient (à hauteur de 1,8 million d'euros pour un total de 4,5 millions d'euros) quatre grands projets en vraie grandeur. Leur objectif : évaluer, sur le long terme, l'efficacité de la technique, en estimant les transferts de contaminants vers les différents compartiments de l'environnement (eau, air, sol, chaînes trophiques), ainsi que la viabilité socioéconomique, notamment via l'exploitation de la biomasse produite.
Aux Etats-Unis, nombre de décharges utilisent les plantes pour confiner la pollution et fournir des revenus », souligne Jean-Louis Morel. « La rentabilité économique constitue une garantie de la pérennité des procédés mis en place, affirme Francis Douay, responsable du laboratoire « sols et environnement » du groupe ISA qui coordonne le projet Phytener (3). De plus, l'utilisation de ces terrains pollués permet de produire de la biomasse sans concurrencer les productions alimentaires. » « A la bioferme, nous avons déjà monté une filière structurée permettant de valoriser la biomasse des filtres plantés à hauteur de 60 euros la tonne. Les plantes représentent les solutions de dépollution du XXIe siècle. Il suffit simplement de changer de culture », conclut Thierry Jacquet.
TABLEAU principales phytotechnologies

Dépollution par les plantes en "hors site"
Un premier centre « hors site » de dépollution par les plantes vient d'ouvrir sur 104 hectares à La Brosse-Montceaux (Seine-et-Marne). Baptisé « Bioferme », il devrait traiter, chaque année, 50 000 tonnes de matières polluées. Pour l'instant, il s'agit essentiellement de boues chargées en matière organique, transformées en terreau et en biomasse par les jardins filtrants.

Polluants à traiter
Plantes utilisées
Action
PHYTOSTABILISATION
Métaux (Pb, Cd, Zn, Cu, As, Cr, Se).
Plantes à racines fibreuses et profondes.
Confinement des polluants par le couvert végétal pour limiter le risque de lessivage et d'envol des polluants.
PHYTOEXTRACTION
Métaux (Pb, Cd, Zn, Cu), nitrate.
Thlaspi, alyssum, brassica (moutarde).
Extraction des polluants du sol par des plantes accumulatrices dans leurs parties récoltables (feuilles, tiges, racines).
PHYTODÉGRADATION / PHYTOTRANSFORMATION
Composés organiques, nitrate, phosphate.
Arbres (famille du saule, peuplier), herbes, légumes.
Transformation par la plante de molécules organiques complexes en composés plus simples, intégrés dans les tissus de la plante.
RHIZODÉGRADATION
Composés organiques, solvants, produits phytosanitaires.
Herbes à racines fibreuses : bermuda, blé, seigle, fétuque.
Dégradation des polluants par les racines et l'activité microbienne qui y est associée.
PHYTOVOLATILISATION / PHYTOSTIMULATION
Métaux (As, Hg, Se), composés organiques volatils.
Brassica juncea (moutarde), plantes marécageuses.
Volatilisation du polluant absorbé par la plante et éliminé par évapotranspiration.
communauté d'agglomération D'Hénin-Carvin (Nord-Pas-de-Calais) - La pollution confinée, les terrains valorisés
Sols gorgés de plomb, de zinc et de cadmium. L'exploitation de Metaleurop et de Nyrstar a laissé un passif « lourd » à gérer. « Autour des usines, les concentrations en plomb des sols sont jusqu'à trente fois supérieures aux moyennes régionales. Une centaine d'hectares est très fortement contaminée et plus de 100 km2 sont concernés par la pollution historique », constate Francis Douay, responsable du laboratoire « sols et environnement » du groupe Isa (Institut supérieur d'agriculture). Pour la communauté d'agglomération d'Hénin-Carvin, le recours aux plantes présente l'une des rares solutions économiques et écologiques envisageables. « La phytostabilisation permet de confiner la pollution, tout en valorisant les terrains », analyse Virginie Serpaud, chargée de mission « aménagement durable » à la communauté d'agglomération. Afin de développer ces techniques, l'agglo participe à une expérimentation visant à planter du miscanthus sur des terres agricoles contaminées. « L'idée est de stabiliser les polluants en évitant les poussières liées à l'exploitation des terres, et de fournir un revenu aux agriculteurs grâce à la biomasse », résume Francis Douay. La viabilité technique et socioéconomique de la filière, avec une biomasse qui alimentera la chaudière d'un lycée, sera évaluée.
fiche technique
Objectif : phytostabilisation des polluants et valorisation énergétique Plantes utilisées : miscanthus Début de l'expérimentation : 2007 Superficie : 10, puis 15 hectares Coût de l'expérimentation : 320 000 euros (plantation, indemnisation des agriculteurs, suivi scientifique.).
pour en savoir plus
- Guide méthodologique Ademe : « Traitabilité des sols pollués ».
- Formation proposée par l'Ineris en 2010 : « Gérer durablement les sites contaminés grâce aux phytotechnologies », les 29 et 30 avril, 23 et 24 septembre et 14 et 15 décembre.